Gros coup de cœur de cette rentrée littéraire d’hiver pour Là où chantent les écrevisses, l’excellent premier roman de Delia Owens. Au cœur des marais de la Caroline du Sud, découvrez l’héroïne inoubliable qu’est Kya. Abandonnée à dix ans par sa famille, elle deviendra pour tous, ou presque, « la fille des marais », survivant dans cet espace entre la terre et l’eau grâce à sa connaissance de la nature, évitant les humains jusqu’au jour où sa vie basculera. Un vrai page-turner porté par l’écriture de Delia Owens qui sublime autant les sentiments humains que les paysages.
Véritable choc littéraire que le premier roman publié en France de ce jeune canadien qui va puiser son inspiration du coté de Genet. Dans cette tragédie sociale, Kevin Lambert ne nous épargne rien et comble ainsi les lecteurs en recherche de secousses tout en offrant un travail de la langue de haute volée ! Sur fond de lutte ouvrière, Querelle jeune homme à la beauté d’apollon affole les hommes de la petite ville de Roberval, trois monstres adolescents sèment la terreur, les grévistes, les patrons, les travailleurs font monter la tension.
Querelle prends au tripes et ne vous laisseras pas indemne.
Bleuets fait partie de ces rares objets littéraires dont on l’aime se délecter, le genre de livre dans lequel on peut piocher à l’infini. En 240 fragments, Maggie Nelson déclare son amour au bleu et transforme cette couleur en galaxie intime et poétique. Elle convoque artistes, penseurs tout en faisant appel à ses expériences personnelles pour explorer le bleu et rappelle ainsi ses thèmes de prédilection que sont l’art et la beauté. Ce petit opuscule joue avec l’infinité des reflets de bleus que la lumière imprime sur nos rétines, apaisant et consolatoire.
Dans le cœur battant de San Francisco, Morayo, 75 ans, ne manque ni d’entrain, ni d’appétit pour la vie. A l’approche de son anniversaire un accident survient et l’envoie dans un centre de rééducation où la vie n’est pas très palpitante. Mais la morosité ne résiste pas longtemps face à Morayo pour qui tout est aventure. Un personnage pétillant qui nous entraîne pendant 150 pages dans un véritable tourbillon. Impossible de ne pas craquer pour cette Mrs Dalloway nigériane.
L’auteur des Délices de Tokyo revient avec un troisième roman tout en sensibilité et délicatesse. Yôichi recueille Johnson, un corbeau, qu’il soigne après que celui-ci soit tombé du nid. Pour cet enfant dont la mère cumule deux travail pour essayer de s’en sortir et pour l’oiseau orphelin blessé et apeuré, cette rencontre sera marquante. En alternant les points de vue des deux personnages, Durian Sukegawa établit un jeu de miroir entre le monde animal et celui des humains, chacun pouvant se montrer impitoyable. L’écriture ne fait pas l’économie de la poésie et sublime une forme d’humanité où l’espoir et l’amour restent fondamentaux.
Auteur raté vivant à San Francisco, Arthur Mineur est convié à une cérémonie à laquelle il veut à tout prix échapper : le mariage de son ex-compagnon. Profitant de plusieurs invitations aux quatre coins du monde, il décolle aussitôt pour une tournée des foires du livre, salons, rencontres et performances artistiques au cours de laquelle il tombera presque amoureux à Paris, frôlera la mort à Berlin, échappera de justesse à une tempête de sable au Sahara… Riches en rebondissements et emplies d’une délicate poésie du désespoir, ces Tribulations d’Arthur Mineur, sont avant tout l’histoire hilarante d’un Américain à l’étranger, et l’alliance parfaite d’une grande maîtrise littéraire et d’une intrigue amoureuse aux multiples formes d’humour délicieusement contagieuses. Trop bien !
Les terres inexplorées de l’Ouest américain feront mine de dévoiler leurs mystères dans ce roman sobre et beau aux allures de western fantastique. John Bellman, jeune veuf et père esseulé d’une petite fille de 12 ans, trouve un remède à sa mélancolie en partant en quête d’animaux gigantesques, dont on a retrouvé les ossements. Il va se rendre jusqu’au Kentucky accompagné de Vieille femme de loin, un jeune indien au nom très étrange. Sa fille Bess, restée seule chez sa tante, découvrira quant à elle d’autres monstres, dissimulés sous les traits faussement protecteurs d’hommes du village. Un conte d’aventure rude et poétique.
Après Sale temps pour les braves et Un dernier verre au bar sans nom, les éditions Cambourakis rééditent Clair obscur de Don Carpenter, sorti en 1967 aux Etats-Unis. L’auteur de l’Amérique des laissés pour compte et des marginaux y raconte sombrement l’histoire d’un adolescent perturbé enfermé pendant 18ans dans un hôpital psychiatrique, qui va rechuter à sa sortie après avoir recroisé une figure marquante de son passé. Entre Tennessee Williams et Raymond Carver, ce roman, suintant le malaise et la brutalité, la pulsion animale, met en scène avec toute la grâce du désespoir un destin brisé, l’histoire d’un apprentissage raté, d’une initiation à la vie gâchée. C’est âpre et amer et c’est écrit avec la plume de la désolation.